Bernard GRONDIN, que nous connaissons aujourd’hui en tant que directeur d’Emmaüs Réunion et artiste, nous raconte son parcours. Un cheminement et des valeurs qui trouvent leur ancrage dans l’histoire de notre île et particulièrement lorsqu’il croise l’association les Papillons d’Emmaüs en 1995, fruit d’une mobilisation des habitants du quartier de Primat.
Portrait de : Bernard GRONDIN |
Présentez-nous votre parcours - "L’ESS un parcours de vie ?" |
Je suis originaire de Ste Clotilde. Je suis né en 1965 et j’ai grandi au quartier « VYÉ-SID » dans un espace imprégné des valeurs rurales (La cour, les animaux, les arbres, les fleurs, la cuisine au feu de bois, les tisanes...) ; une première existence que j’ai dû confronter aux réalités de la Cité du Chaudron en 1978, à l’âge de 13 ans. Mon environnement familial m’a inculqué le respect de l’individu, aimer l’autre dans toute sa dimension ; Une éducation transmise par des actes et des activités, car mes parents « illettrés » ne savait pas « intellectualiser » ces choses-là. C’est ainsi, « On se lève le matin, on se prend en charge, on prend en charge sa famille et on avance ». J’ai récemment appris auprès de Loran Hoarau (Historien) à comparer ces trois temps : Non déchets - Déchets encombrants - Déchets dangereux. Relire ces évolutions sur notre île en termes de consommation, c’est comprendre les enjeux en termes de sensibilisation écologique, d’engagement durable, c’est aussi évaluer tous les intérêts économiques du secteur de la valorisation des objets en « bout de vie », qu’ils soient déchets ou non. C’est surtout se rendre compte de la bascule de notre société, en une génération. J’appartiens donc à ces trois mondes. Ma nouvelle vie en cité est très perturbante, il faut apprendre à reconsidérer un ensemble de choses, des valeurs, il faut s’harmoniser pour s’insérer, je « zone » au bas de l’immeuble, je m’ennuie, je m’enrôle dans un quotidien fait d’oisiveté. Après un CAP plomberie, en 1984, j’exerce différents « petits métiers » comme manœuvre, livraison de pain à domicile…, békèr-d’klé, là où on a besoin de moi, pour subvenir à mes besoins et soutenir mes parents en charge de 7 enfants. À 19 ans, je paye mon permis, je deviens animateur de radio libre, militant au sein d’ATD Quart Monde, président d’association, chanteur-leader du groupe Ravan’. C’est à cette époque qu’on repère chez moi des « aptitudes » de travailleur social, je relève ce défi lors d’un examen me hissant au niveau BAC, et commence à me former au métier d’éducateur-animateur. |
Pourquoi avoir fait le choix d’entreprendre autrement ? |
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Le projet est né de la mobilisation des familles du quartier de Primat à la suite de l’annonce de la fermeture de la décharge de la Jamaïque. Comment conserver ces activités occupationnelles, participantes à la cohésion du village ; Commune de feux (comme on l’appelait) si plein de déséquilibre, marqué de tous les stigmates de la pauvreté, de la précarité, de l’exclusion. Un lieu à déconstruire et à rebâtir dans le cadre du premier DSQ (Développement Social de Quartiers). Le premier réflexe est alors de s’ancrer dans ce qu’on sait faire, de ne pas perdre ses repères, c’est se maintenir « en vie », en œuvre ! Mon arrivée en janvier, va permettre de « consolider » les premières réflexions, à formaliser toutes les autres rencontres nécessaires à la « construction » de l’outil ; Le temps doit être souple, car l’engagement pour porter une association et la faire vivre s’apprend très lentement, le lancement se fait seulement en septembre 1995 (avec deux containers sur les berges de la rivière des pluies, sans eau, sans électricité). Ma proximité avec ce secteur, mes interventions « Bibliothèque de rue » organisées avec ATD Quart-Monde, mes différentes expériences, mon statut d’éducateur-animateur, ont fait que la question de légitimité ne s’est pas posée. Sans que cela soit une ambition, le projet d’une carrière, je savais que je m’élevais dans cette démarche, je prenais conscience de la possibilité de « partager mes richesses », que cette action permettait à d’autres, qui avaient encore moins reçu, de se réparer, ré-embrayer, repartir, se redécouvrir, s’accomplir. |
Pourquoi le choix de ce statut ? |
Il faut dire que la forme associative est une formule simple pour démarrer et apprendre à s’organiser. Dans notre cas, elle a été le prolongement d’une association de fait, un cadre administratif, suffisamment souple, pour permettre d’agencer les attentes (kosa nou fé ?) et de projeter les mises en œuvre (koman nou fé ?), un espace sécurisant pour dire et agir. Sa finalité étant de sauvegarder des gestes, de se prendre en charge au quotidien ! Du point de vue éducatif, ce qui était observé, c’est que des Hommes se mettaient en marche avec la volonté de réussir leur « entreprise », répondant présents face aux difficultés, aux manques ; il s’agissait pour chacun d’exister en toute dignité, pour soi et pour son environnement proche. |
Quelles valeurs défendez-vous ? |
Le respect de l’individu est au cœur de nos missions. Chacun possède son histoire, sa culture, ses motivations, le droit à la réussite, comme le droit à l’échec. Sans entre-aide et solidarité, l’action d’Emmaüs ne peut pas exister. C’est une valeur qui régit tous nos liens, et que nous essayons de partager dans son sens le plus noble au sein de nos groupes. La présence et la réussite grandissante d’Emmaüs sur le territoire réunionnais est aussi le fruit d’une volonté de conserver des structures à tailles humaines, autour de 40 personnes. La mise en œuvre d’un projet Emmaüs n’est pas une duplication d’actions, ou l’application d’une réussite. Une structure voulant devenir acteur d’une branche d’Emmaüs, va réaliser et créer à partir des besoins constatés et de son propre savoir-faire. Une fois que le projet prend vie, le parrainage d’un Emmaüs existant vient consolider ce qui a été mis en œuvre. |
Comment celles-ci se traduisent au quotidien ? |
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Les échanges que nous avons avec nos bénéficiaires sont fondés sur l’écoute, l’attention, l’empathie, le partage et la confiance. C’est quoi l’Accompagnement social ? ce n’est pas seulement apprendre à bien travailler. Nous avons le devoir de questionner l’individu : quelles difficultés tu rencontres pour pouvoir réaliser ça ? Pour t’entendre avec les autres ? Nos collecteurs sont parfois confrontés à des situations complexes culturellement ; un deuil familial par exemple, peut opposer des croyances à la nécessité d’intervention. Ce type de situation nécessite une pédagogie pour annihiler certaines contraintes, en expliquant que l’intervention va certainement aider la famille à neutraliser la valeur émotionnelle des objets, à tourner la page, à ne pas subir une charge supplémentaire de loyer… ! De même que reprendre un frigo en fin de vie dans un appartement au 4ème étage est un acte de solidarité très important pour la Mamie, le Papi ou autre personne à mobilité réduite, dépourvue de moyens et de soutien. Nos gestes de collecte ne peuvent donc pas être résumés qu’à une valeur économique ; ils participent grandement au projet de citoyenneté et aussi de préservation patrimoniale. |
Le Mouvement Emmaüs compte 3 branches : communautaire (B1), Action sociale et logement (B2), Économie solidaire et Insertion (B3). Les actions de la B2 se déclinent ici sous l’égide de la Fondation Abbé Pierre |
Quels sont vos prochains défis ? |
Notre fonctionnement n’a pas l’objectif de relever un défi en particulier. Nous continuerons à répondre à l’urgence sociale avec l’aide du réemploi car c’est notre mission première. Pour ce faire, nous souhaitons améliorer nos conditions d’accueil, de stockage, aménager notre opérationnalité, mutualiser nos réflexions et nos moyens, devenir une parole publique légitime. |
Selon vous qu'est-ce l’ESS apporte au territoire réunionnais ? |
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Je continue à considérer ce champ comme un outil éducatif, il doit proposer des services et de l’aide, des réponses aux besoins sociaux non satisfaits, qu’il relève du champ économique ou de l’action publique. Pour moi, l’ESS est un champ empreint à la création de cercles vertueux qui doit rester accessible à l’ensemble de la population. L’ESS doit être soutenue par des lignes politiques. On connait la dynamique de ce secteur (nombre d’emplois, poids financier, et tous ces autres éléments de comptabilité...) Il est selon moi en proie à des évolutions amenées par un contexte international au sein duquel nos spécificités méritent de ne pas disparaître. |
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à ceux qui veulent entreprendre dans l’ESS ? |
Je conseillerai à un futur entrepreneur de garder à l’esprit les aspects moraux de l’insertion. Au porteur de projet qui veut créer dans le secteur du réemploi, je voudrais qu’il n’oublie pas le gounifyol qui tire un revenu du ramassage de chopines. Les questions d’inclusion et d’emploi durable sont au cœur de mes préoccupations et je souhaite que les dispositifs créés pour l’aide à l’embauche puissent nous faire sortir des situations de chômage structurel. |